Entretien réalisé par Etienne Krieger le 20 juin 2021

Roland Cahen est un poète doublé d’un artiste impressionniste du son. J’ai eu le privilège de découvrir certaines de ses créations en matière de spatialisation sonore, créations dont l’apparente simplicité masque souvent une extrême sophistication. « Sonaginer puis modéliser » : ce néologisme résume à lui seul la quête onirique de Roland, qui nous invite à découvrir de nouvelles galaxies acoustiques. Ses dispositifs sonores interactifs nous embarquent dans des contrées où, à l’instar des Correspondances de Baudelaire, « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Roland fait partie de ces géants modestes, qui n’ont rien à prouver et qui sont heureux de vous faire découvrir leur univers « où la tectonique de l’imaginaire vient submerger la croute du monde réel ».

Bonne lecture !

Roland Cahen is a poet doubled as an impressionist artist of sound. I had the privilege of discovering some of his creations in the field of sound spatialization, creations whose apparent simplicity often hides extreme sophistication. « Sonaginer puis modéliser » (Dreaming and then modeling): this neologism alone sums up Roland’s dreamlike quest, inviting us to discover new acoustic galaxies. His interactive sound devices take us on journeys where, like Baudelaire’s « Correspondences, » « perfumes, colors, and sounds respond to each other. » Roland is one of those modest giants who have nothing to prove and who are happy to let you discover their universe « where the tectonics of the imagination submerges the crust of the real world. »

Happy reading!

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Votre parcours et votre activité actuelle

J’ai eu la chance de participer aux Ateliers Musicaux de France Musique de 16 à 19 ans, où j’ai découvert la radio et la musique contemporaine ce qui m’a amené ensuite au Conservatoire de Paris dans la classe de composition électroacoustique et de recherche musicale de Pierre Schaeffer et au GRM avec François Bayle. Par la suite je me suis consacré à la création musicale, à la pratique théâtrale et aux musiques appliquées. En parallèle je me suis consacré au développement de nouveaux enseignements de la composition électroacoustique dans les conservatoires d’Amiens et Montbéliard ainsi qu’à l’université de Lille. Impliqué dans la création numérique dès les années 80, j’ai conçu et développé des dispositifs sonores interactifs expérimentaux jusqu’aujourd’hui. En 2000 j’ai rejoint l’ENSCi les Ateliers pour y créer un enseignement autour du son et l’Ircam pour y développer des outils pédagogiques et participer à des projets de recherche en tant qu’artiste et développeur. Mon travail artistique s’est surtout développé autour de la spatialisation sonore et la création sonore dramatique. Puis au design sonore dans les domaines du théâtre, de la scénographie et des dispositifs sonores. Avec les années, la dimension expérimentale de la création sonore électroacoustique est devenu un domaine incontournable de la création, qu’il s’agisse de l’audio-visuel, de la diffusion sonore, des systèmes d’écoute, de l’expérience quotidienne de la navigation sonore in-situ, des interfaces…etc. Grâce à la chance que j’ai de me trouver à l’ENSCi au cœur d’une tempête d’invention quotidienne ou une nouvelle idée en chasse une autre, je suis devenu un véritable généraliste de la création des dispositifs conçus en vue de produire des expériences sonores. En 2019, j’ai rejoint l’équipe du Centre de Recherche en Design (ENSCi – ENS Paris Saclay), où je prépare actuellement une Habilitation à Diriger les Recherches.

L’art, la science, l’innovation et vous

L’art est partout, certes le travail de l’œuvre détachée d’une utilité est un espace privilégié ou la forme peut s’exprimer radicalement. Mais toute création pose des problématique artistiques, question de forme, question de ressenti, question de projection imaginaire, d’appropriation et d’autonomie de ses objets. On parle beaucoup d’innovation mais on en fait peu. Faire autrement, essayer de formaliser des idées désirables et hors gabarit, hors cadre est souvent difficile car les outils ne répondent plus, il faut les reconstruire, il faut convaincre sans être soi-même convaincu et expérimenter sans relâche jusqu’à ce que quelque chose en sorte, si l’on savait quoi ce serait trop facile et surtout ennuyeux. Créer c’est donc aussi tricher et viser un petit point dans le néant, en espérant qu’un jour des étoiles ou des galaxies apparaitront un jour. Poser des questions en apparences stupides : Comment modifier la forme d’une table en manipulant une chaise ? A quelle figure corporelle et à quelles formes de mouvements pourrait bien ressembler la chorégraphie tangible des sons ? Peut-on rendre les chantiers silencieux et si oui comment ? Il y a un lieu où la tectonique de l’imaginaire vient submerger la croute du monde réel, ou notre rêverie nous tend ses pièges pour bien nous rappelle que ce qu’on voit ou qu’on entend n’est pas ce qu’on croit. Sonaginer puis modéliser, voilà le programme, pour le reste, il se trouve, assez bizarrement d’ailleurs, qu’un sujet aussi improbable que la création sonore se retrouve souvent tomber au milieu de la route, une question en amène une autre et un sujet trouve son objet.

Les œuvres qui vous parlent

Trois œuvres musicales

J’aime la musique, toute les musiques, ou presque, j’aime le son, tous les sons, ou presque. Il y en a quand même quelques-uns que je qualifie de nuisances, comme les marches militaires, les bruits de bottes, les cris et les pleurs, les moustiques tigres et quelques autres, mais ils ne peuvent s’empêcher de témoigner de la vie, même si j’aimerai ne plus jamais les entendre. J’écoute de tout et collectionne les playlists. Dans mon adolescence, on connaissait quelques dizaines de titres, les ados d’aujourd’hui en connaissent des centaines, les passionnés de musique des milliers. Il y a autant d’invention musicale que la nature permet de le faire en combinant les sons, et non, il n’y a pas de règles en art, ni en musique. Notre oreille est fondamentalement formée, non pour se complaire dans nos (mauvaises) habitudes musicales normatives, mais pour se dresser toujours à la découverte de nouvelles expériences. Les oreilles sont nos organes du danger et de l’affect.

Vous le croirez ou non, on peut être à la fois compositeur et mélomane.

J’adore le jazz moderne, notamment les trios, la musique contemporaine, la musique électroacoustique, la musique instrumentale du XXème siècle, romantique, classique, baroque, ancienne pour tous les instruments, toutes les formations. La chanson de tous les pays, la pop, le rock, le rap sont des nourritures complète pour l’âme. La musique de danse est essentielle, toutes les danses, je ne les citerai pas parce qu’il y en a trop tous les rythmes sont prenants, sont autant d’offres pour les mouvements du corps. Les musiques traditionnelles retracent les histoires intérieures humaines, les musiques expérimentales nous offrent un regard inusité, inouï sur le monde dans sa totalité. Les musiques sont come les plantes, il y en a et elles sont toutes magnifiques.

Je suis incapable de choisir trois morceaux parmi ces merveilles, ce serait parfaitement arbitraire. Alors comme je suis aussi compositeur et que j’aimerai que vous écoutiez ma musique je vais choisir 3 de mes créations : voici ma page YouTube et 3 œuvres à écouter à vos heures perdues.

https://www.youtube.com/channel/UCg0XvV6hgZSylpMvHduxEKQ

Vous pourrez notamment y écouter :

Tout d’abord les Nocturnes électroniques, composés les soirs tard après le couché des enfants, dans ce léger engourdissement de l’esprit si particulier à la nuit.

Puis NanOBalad, une pièce de musique cynétique, un genre que j’essaie de développer, à écouter impérativement au casque sur une bonne écoute ou en octophonie sur un dispositif multicanal de qualité pour ressentir le mouvement du son prendre corps.

Enfin un essai poétique et libre sur la beauté : Suite Calliste, porte un regard léger et profond sur l’étrangeté de la disposition universelle au beau.

Trois œuvres littéraires

  • “La défaite de la pensée“ d‘Alain Finkielkraut
  • “Identité et violence“ d’Amartya Sen
  • “Les Identités meurtrières“ d’Amin Maalouf

J’avoue n’aimer ni l’opéra ni la littérature. Les livres de littérature qui m’ont le plus marqués sont des livres de philo., et en particulier de philosophie sociales et politique, des ouvrages scientifiques ou des récits de voyage. Comme je lis lentement, reliquat de ma vie de cancre scolaire, je préfère que ça en vaille vraiment la peine, méditer chaque phrase, essayer de mémoriser, de la confronter avec mon ignorance ou mes aprioris, ou quelquefois même un avis. La question de l’identité m’a nécessairement taraudé depuis toujours, en tant que rejeton d’une famille de rescapés ou même miraculés de la guerre de 39/45. Ces trois livres extraordinaires sont tous les trois des leçons de société. Ils disent en gros la même chose mais avec 3 points d’entrée complètement différents. En 1996 je créais un essai documentaire intitulé « Propos sur la Culture » où je questionnais les relations entre culture et identité.

Autres types de créations

J’ai été élevé parmi les photographes et les scientifiques. Ma grand-mère Denise Colomb a photographié à peu près tous les grands artistes des années 50 à 80. J’ai donc grandi avec eux avant de découvrir l’art contemporain qui m’a passionné et me passionne toujours aujourd’hui. J’adore l’architecture et ai eu la chance de participer de près ou de loin à des projets passionnants dans ce domaine. Quant aux sciences, je ne me lasse pas de découvrir la recherche scientifique dans autant de domaines que possible. Je suis notamment passionné par les représentations de l’espace et du temps, l’énergie, l’acoustique et le son bien sûr, les interactions multimodales en temps réel, la psychologie de la perception. Plus récemment je me suis tourné vers les sciences du design et de la conception.

Trois clichés personnels

Princesse éphémère croisée une nuit sur le trottoir

Sans commentaire

Design mobilier, un berceau dans les nuages