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Les startups misent sur une croissance rapide plutôt que sur une rentabilité immédiate. Mais entre ambitions démesurées et réalité du terrain, l’art du business plan consiste à bâtir des hypothèses solides sans céder aux mirages des tableurs. Un plan crédible doit articuler une vision, des données dûment étayées et une capacité d’adaptation face aux aléas. La crédibilité d’une équipe tient moins à la précision de ses prévisions qu’à sa lucidité et à sa faculté à s’adapter pour garder le cap lorsque les promesses se confrontent au réel.
Article publié le 5 novembre 2025 dans Les Echos Solutions : https://solutions.lesechos.fr/business/lancer-son-projet/promesses-et-business-plan-jusqu-ou-peut-on-jouer-avec-les-hypotheses/

Une startup couronnée de succès met 9 ans à réaliser 9,3 M€ de CA après avoir levé 4 M€. Sa valeur médiane de cession est de 38 M€ (source Avolta). En outre, seule la moitié de ces startups (58%) est rentable au moment de l’exit, par cession de l’entreprise ou cotation en bourse. A la différence des entreprises traditionnelles, la stratégie financière des startups est en effet de croître le plus rapidement possible, fût-ce au détriment d’une rentabilité immédiate. C’est logique lorsque votre entreprise est valorisée un multiple élevé de vos ventes (en l’occurrence 4,1 fois le CA en valeur médiane), indépendamment de vos résultats d’exploitation.
Le taux d’échec de ce type d’entreprises est certes élevé (plus de 90%) mais les performances médianes que nous venons d’évoquer sont très supérieures aux entreprises traditionnelles et constituent souvent d’indéniables succès techniques, commerciaux et financiers. Pour autant, si vous présentez de tels chiffres prévisionnels à des investisseurs occasionnels, beaucoup rétorqueront que vous manquez d’ambition car ils rêvent de croissances exponentielles que seules les vapeurs des tableurs peuvent généralement fournir.
Faire rêver est-il un passage obligé ?
Faut-il alors se résoudre à emboîter le pas de certains responsables politiques qui savent bien que si vous ne faites pas rêver les électeurs, vous risquez fort de ne pas recueillir leurs suffrages ?
En mai 1940, lors de son premier discours à la Chambre des Communes, Winston Churchill ne promettait certes que « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur » mais vendre du rêve n’était plus possible dans des circonstances exceptionnelles et dramatiques.
Même les investisseurs les plus avisés ne font pas grand cas de vos prévisions financières car ils sont convaincus que les entrepreneurs sont trop optimistes. Antoine Garrigues, un des pionniers français du capital-risque et cofondateur du fonds Iris Capital affirme ainsi : « On fait nos calculs sur un business plan divisé par deux et on regarde si on peut faire trois à quatre fois la mise ».
Jusqu’où peut-on jouer avec ses hypothèses de croissance sans être pris à son propre piège, lorsque les promesses se fracassent contre le mur de la réalité ? Faut-il par conséquent doper vos prévisions de ventes et de résultats sachant qu’elles seront presque systématiquement revues à la baisse ?
Scénario nominal, scénarios alternatifs et plans de contingence
Un business plan ne se réduit pas à des comptes prévisionnels, tant s’en faut. Mais il en comprend systématiquement car ceux-ci sont la traduction de vos objectifs, de votre stratégie et d’étapes de développement rythmées par des investissements, des dépenses d’exploitation, des recettes et d’éventuels financements externes.
Le scénario principal présenté dans votre business plan est également appelé « scénario nominal » : c’est ce que l’on anticipe lorsque tout se passe « comme prévu », sans erreur ou incident majeur. On peut également présenter des variantes, encore appelés scénarios alternatifs voire plans de contingence, afin de rassurer d’éventuels bailleurs de fonds sur votre capacité à rebondir en fonction des mutations et aléas sociaux, culturels, économiques, politiques, technologiques, environnementaux et légaux. Ces différents types de plans et de scénarios analysés à l’aune de l’impact et de la fréquence des aléas peuvent être représentés de la sorte :

Une équipe réduite ne peut naturellement pas passer l’essentiel de son temps à faire des multitudes de scénarios mais, si ce travail de planification est collectif et nourri par un authentique travail de terrain, il permet de faire des choix informés. Ce travail collectif vous permettra de développer une agilité stratégique et facilitera d’autant plus la mise en œuvre des principales actions prévues que vos équipes auront été impliquées dans leur formulation.
Des exigences différentes selon le stade de développement
Pour une entreprise en phase de création, les hypothèses de base sont d’autant plus difficiles à définir que votre entreprise n’a pas de passé et que le champ des possibles est considérable, entre croissance plus ou moins rapide, stagnation ou échec. Votre crédibilité reposera sur votre capacité à justifier plusieurs paramètres clés, notamment les coûts et les délais de développement de votre offre, vos prix de vente, vos marges opérationnelles et votre performance commerciale. Les investisseurs analysent cette dernière à l’aune de vos Coûts d’Acquisition Client (CAC) et de la Valeur Vie Client ou « Customer Lifetime Value » (CLV) qui désigne la marge cumulée générée par un client.
Pour une entreprise plus établie, les prévisions à court et moyen terme sont en grande partie fonction de vos réalisations antérieures et de votre carnet de commandes. Le niveau d’exigence de vos bailleurs de fonds sera encore plus important et portera sur votre capacité à anticiper votre consommation et/ou votre génération de cash. Cette exigence est résumée par Victor Lugger, cofondateur du Groupe Big Mamma, selon qui « au-delà de 10 M€ de CA, vos investisseurs scruteront vos cash flows opérationnels ».
Promesses et business : comment rester crédible ?
Présenter un business plan crédible vous ramène à l’essentiel : quelle est la force de votre proposition de valeur ? Quelle est la pertinence de votre business model ? Vos prévisions financières reposent-elles sur des hypothèses étayées par des données solides ? Et, en complément du triptyque « proposition de valeur / architecture de la valeur / équation de la valeur », avez-vous réuni une équipe compétente et motivée par un objectif et des valeurs partagées, capable de mettre en œuvre votre plan de développement et s’adapter aux inévitables aléas qui affecteront votre scénario nominal ?
Jouer avec les hypothèses n’est pas tricher, à condition de ne jamais perdre le contact avec le réel. Un bon business plan n’est pas un roman d’anticipation, bien au contraire. C’est une boussole stratégique qui aide à naviguer dans l’incertitude, en intégrant des marges d’erreur et des plans de contingence. Vos bailleurs de fonds n’attendent pas des prévisions exactes mais une pensée stratégique lucide alliant ambition et prudence. In fine, la crédibilité d’un entrepreneur ne se mesure pas à la justesse de ses promesses, mais à sa capacité à les réajuster sans perdre le cap.
Afin de définir ce cap, nous vous conseillons de nourrir votre réflexion au plus près des clients et des acteurs clés de votre écosystème, mais également auprès d’autres entrepreneurs, financiers et experts avec qui vous pourrez avoir des échanges qui vous permettront de dépasser l’adage un peu cynique d’un responsable politique français qui affirmait que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».