Version anglaise/English version: LINK
Les incertitudes politiques et économiques françaises ont entraîné un net ralentissement du financement et du développement des startups, avec une réduction du capital-risque et des dispositifs publics comme « France 2030 ». Face à cette situation, les entrepreneurs adoptent des plans de croissance plus prudents et réduisent leurs ambitions de recrutement. Toutefois, les startups déjà rentables ou positionnées sur des secteurs stratégiques continuent de lever des fonds. Comme lors de précédentes crises, les entreprises capables de créer de la valeur et de générer des revenus solides tireront leur épingle du jeu.
Article publié dans Les Echos « Le Cercle » : www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/capital-risque-en-baisse-de-47-creations-divisees-par-trois-les-gouvernements-passent-les-entrepreneurs-restent-et-sadaptent-2198111

Formuler une trajectoire de développement traduite par un budget et des comptes prévisionnels est un art difficile pour une startup ou une PME. A l’échelle d’un pays comme la France, cela semble désormais relever de l’exploit, tant les divergences sont importantes entre les représentants de la Nation. Si un conseil d’administration se comportait de la sorte, les actionnaires le remplaceraient promptement afin de dépasser les blocages. Mais un pays est nettement plus complexe à gérer qu’une entreprise et la création d’un large consensus social, politique et économique requiert encore davantage de tact qu’avec des administrateurs qui divergent.
Les événements politiques récents et le contexte économique qui en a résulté ont entraîné un ralentissement et une incertitude accrue pour les 16200 startups françaises recensées par la dernière édition du baromètre France Digitale/EY. Cette atonie est patente, en dépit de la priorité toujours accordée à l’entrepreneuriat et à innovation par les gouvernements successifs, à travers la panoplie d’aides de la BPI et des mesures fiscales incitatives.
Capital-risque et aides à l’innovation en berne
Ainsi, les investissements en capital-risque dans les startups françaises ont enregistré une baisse de 47% au premier semestre 2025 par rapport à l’année précédente, reflétant l’attentisme des investisseurs face au contexte politique et économique (source Sifted).
D’autres sources de financements sont impactées par des coupes budgétaires : le budget du programme national d’innovation « France 2030 » est amputé de 2 Md€, soit 29% de moins que l’année précédente. Plusieurs avantages fiscaux essentiels pour les startups technologiques ont également été rabotés, à l’instar des aides à l’embauche de jeunes chercheurs.
Attentisme et plans de croissance plus conservateurs
Au-delà de la baisse des financements directs, les blocages et les incertitudes qui en résultent sont considérés comme une source majeure de risque par beaucoup d’entrepreneurs qui revoient leurs plans de croissance à la baisse.
La proportion de fondateurs prévoyant de recruter en 2025 est passée de 85% à 70% et le nombre de ceux prévoyant de réduire leurs effectifs a presque triplé par rapport à la même période en 2024, passant de 5% à 14% (source Sifted). Pour des structures vouées à l’hypercroissance, ces chiffres sont préoccupants et dénotent un attentisme des entrepreneurs en matière de déploiement de leurs offres innovantes.
Le nombre de création de startups a lui-même décru drastiquement puisqu’il a quasiment été divisé par trois, passant de 3500 startups en 2023 à 1200 en 2024 (cf. France Digitale/EY) et que les perspectives en 2025 ne sont guère plus radieuses.
Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne
Ces chiffres contrastent avec des périodes nettement plus euphoriques pour les startups mais il convient de ne pas céder au catastrophisme ambiant en notant d’une part que toutes les entreprises ne sont pas impactées par ce phénomène. C’est notamment le cas des startups évoluant dans des secteurs considérés comme stratégiques, développant par exemple des outils et des services de cybersécurité basés sur l’intelligence artificielle et l’informatique quantique.
De manière générale, les startups déjà profitables ou qui affichent de fortes croissances du chiffre d’affaires et de réelles perspectives de rentabilité parviennent à lever des fonds pour financer leur croissance.
N’oublions pas que 60% des startups qui enregistrent une sortie positive se développent en pur autofinancement. Elles mettent certes plus longtemps à être cédées que leurs homologues dopées par les fonds de capital risque (15 ans au lieu de 9 ans de délais médian, source Avolta) mais elles sont par nature moins sensibles à la conjoncture financière.
Retour aux fondamentaux
Les gouvernements passent, les entrepreneurs restent car les horizons temporels respectifs ne sont pas les mêmes. Les turbulences politiques incitent juste les startups et ceux qui les financent à passer d’une logique de croissance à tout prix à une logique de résilience et de rentabilité plus rapide.
Par-delà les dynamiques sectorielles, certaines startups ne semblent pas connaitre la crise, comme le chantait déjà Alain Baschung en 1994 dans « Ma petite entreprise ». Les crises économiques et financières sont inévitables et sont parfois induites ou amplifiées par l’instabilité politique. Pour autant, les équipes exceptionnelles développant des offres limpides et scalables parviennent à surmonter les conjonctures les plus défavorables.
Aucune commune mesure avec la bulle « dot-com »… pour l’instant
Pour celles et ceux qui ont vécu l’éclatement de la bulle Internet, entre mars 2000 et octobre 2002, les soubresauts actuels sont loin d’avoir la même intensité, si l’on se remémore l’effondrement que connurent alors les principaux indices boursiers mondiaux, en particulier ceux à forte composante technologique. Mais rien ne dit qu’une telle situation ne se reproduira pas, en France comme dans le monde.
Après l’éclatement de la bulle Internet, la purge fut sévère mais les entreprises disposant d’une offre pertinente et d’une capacité à générer des revenus rapides et des profits à moyen terme ont réussi à passer le cap. Pierre Kosciusko-Morizet, le cofondateur et CEO de PriceMinister déclarait à ce sujet que la croissance de son entreprise était alors certes plus modérée mais que la concurrence était également plus réduite puisque la plupart des compétiteurs avait disparu.
Par-delà la valse des gouvernements et les bulles spéculatives, les entrepreneurs sont voués à s’adapter et, lorsque les capitaux se raréfient, à revenir aux fondamentaux de la création de valeur.