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Kairos, dieu grec du moment opportun, symbolise ces instants fugaces où une opportunité peut être saisie. En matière d’entrepreneuriat, il n’y a pas d’âge idéal pour se lancer mais un alignement entre lucidité, désir et capacité à gérer l’incertitude. Le bon moment n’est pas une évidence : il émerge lorsque l’envie dépasse la peur et que l’on accepte d’apprendre en avançant.
Article publié par Les Echos Solutions le 30/12/2025 : https://solutions.lesechos.fr/business/lancer-son-projet/kairos-et-entrepreneuriat-l-art-de-se-lancer-au-bon-moment/

Dans la mythologie grecque, Kairos est le dieu du moment opportun. Il est représenté par un jeune homme ailé arborant une touffe de cheveux à l’avant du crâne. Si on est assez réactif, on peut saisir sa tignasse lorsqu’il nous survole. Cette divinité fugace nous renvoie à des moments de notre existence où certaines opportunités ne se représentent pas.
Les entrepreneurs sont-ils concernés par les apparitions inopinées du plus jeune fils de Zeus ? Quand est-ce vraiment le bon moment pour se lancer ?
Il n’y a pas d’âge pour entreprendre
Même si l’âge moyen pour créer une entreprise innovante est de 38 ans, de nombreux entrepreneurs se lancent âgés d’à peine vingt ans tandis que d’autres franchissent le pas à plus de cinquante ans et une vie professionnelle bien remplie.
Ainsi, Mehdi Cornilliet a créé plusieurs sites Internet dès l’adolescence et a lancé sa première entreprise 2Empower pendant sa scolarité à HEC Paris avec un investissement initial de 2 Euros. Pour sa part, le Dr. François Pelen a créé le Groupe Point Vision après le cap de la cinquantaine et une brillante carrière dans l’industrie pharmaceutique. Leurs entreprises respectives ont été de grands succès mais les circonstances de la création furent très différentes.
Introspection, travail de terrain et business plan
Créer et développer une entreprise est une opération de longue haleine, qui requiert un minimum de préparation et de nombreux allers-retours avec le terrain afin de formuler une véritable proposition de valeur. Au-delà de la nécessaire étude du marché et de l’environnement concurrentiel, il faut également se livrer à un véritable travail introspectif pour savoir si on prêt à assumer la pression et les sacrifices requis au démarrage.
Réflexion sur son ikigai, travail de terrain puis formulation et mise en œuvre d’une stratégie d’entreprise résultant des deux premiers éléments : si la démarche est claire, quid de la décision de franchir le pas, avec tous les risques que cela comporte ?
Le bon moment : mythe ou réalité ?
Se lancer trop tôt fait courir des risques inconsidérés alors qu’il est relativement aisé de se poser les bonnes questions afin de faire des choix informés, surtout si on est bien accompagné par des dispositifs qui facilitent ce travail de maturation.
A contrario, se lancer « trop tard » peut être un symptôme de procrastination ou une variante du syndrome de l’imposteur appliqué à la création d’une activité innovante. Vouloir que « tout soit parfait » est le plus sûr moyen de jamais passer à l’action, tout en blâmant alternativement la conjoncture économique, l’absence de « bonne idée » ou de « secteur porteur » voire d’autres excellentes raisons de différer indéfiniment la décision de créer.
S’il est normal et même sain de douter, un entrepreneur doit également savoir passer à l’acte en ayant suffisamment d’informations pour « se jeter à l’eau et apprendre à nager » comme aimait à le répéter Robert Papin, le fondateur du cursus HEC Entrepreneurs.
Comment savoir si on est prêt ?
A chacun son équation personnelle et, notamment, son aversion au risque qui déterminera le « moment opportun » où vous serez en mesure de saisir la tignasse du jeune Kairos.
Si votre envie de vous lancer est plus forte que votre appréhension et que vous avez suffisamment de soutiens et d’informations qui vous confortent dans votre projet entrepreneurial, il est sans doute temps de franchir le pas.
La combinaison de trois facteurs
Par-delà les mythes et les légendes, on ne « sait » jamais tout à fait quand on est prêt à entreprendre. On le pressent parfois, on le construit souvent mais ce sentiment ne relève ni d’une fulgurance ni d’une checklist qu’il suffirait de dérouler. Il procède de la convergence de trois éléments :
- Une certaine lucidité sur soi et son environnement.
- Un désir suffisamment fort pour surmonter ses doutes.
- L’aptitude à gérer l’incertitude sans perdre son cap.
La lucidité concerne autant l’analyse du marché que la connaissance de soi. Quelles compétences réelles puis-je mobiliser ? Suis-je prêt à sortir de ma zone de confort ? Ai-je identifié les ressources dont j’aurai besoin ? Le désir, ensuite, agit comme un moteur. Ce n’est pas un simple attrait pour l’indépendance ou la nouveauté, mais une volonté qui persiste au fil des écueils et des ajustements. Vient enfin l’incertitude, puisque créer une entreprise innovante, c’est souvent naviguer à vue.
Lorsque Kairos et préparation convergent
Être prêt, ce n’est pas tout anticiper, mais accepter de décider avec des informations incomplètes et de corriger sa trajectoire en permanence. Ce degré de préparation ne se mesure ni à l’âge, ni au diplôme, ni même au degré de maturité technique d’un projet. Il se construit au fil d’un triple travail : introspectif, exploratoire, puis stratégique. Réflexion sur son ikigai, immersion sur le terrain et élaboration d’un modèle économique cohérent.
Et un jour, les planètes s’alignent : on se sent capable d’assumer le risque et de donner corps à une opportunité de création. Le bon moment n’est ni dicté par l’âge ni par le marché seul. C’est ce moment singulier où l’on se sent prêt à apprendre en marchant et que l’opportunité se présente. Là où, en somme, Kairos et préparation se rencontrent.