Entretien réalisé par Etienne Krieger le 3 novembre 2020

Rien de tel qu’une interview décalée pour découvrir les multiples facettes du Professeur Iselin, avec qui j’ai le privilège de travailler depuis près de vingt ans. Frédéric est un orfèvre de la proposition de valeur appliquée aux startups. Plusieurs entrepreneurs à succès se prévalent de ses travaux qui lui ont valu en 2009 le prix de la meilleure thèse en sciences économiques et en sciences de gestion. Mais l’ami « Fred » n’est pas seulement un expert reconnu en matière de proposition de valeur appliquée aux business plans des entreprises innovantes. C’est également un humaniste doté d’un solide sens de l’humour, ce qui donne à ses conférences une saveur toute particulière. Ses goûts musicaux sont également éminemment éclectiques mais, là où je me permets parfois de passer un clip de punk rock pour introduire un cours, il choisira souvent Mozart. Son rapport à l’art est à l’image de son équanimité. Bref, c’est un vrai philosophe !

Bonne lecture !

Nothing beats an offbeat interview to discover the multiple facets of Professor Iselin, with whom I have had the privilege of working for nearly twenty years. Frédéric is a master of value proposition applied to startups. Several successful entrepreneurs have benefited from his work, which earned him the award for the best thesis in economic sciences and management sciences in 2009. But the friend ‘Fred’ is not just a recognized expert in the field of value proposition applied to the business plans of innovative companies. He is also a humanist with a strong sense of humor, giving his conferences a unique flavor. His musical tastes are also eminently eclectic, but while I sometimes dare to play a clip of punk rock to introduce a lecture, he will often choose Mozart. His relationship with art reflects his equanimity. In short, he is a true philosopher!

Happy reading!

eK

Votre parcours et votre activité actuelle

Je suis professeur en entrepreneuriat à HEC. Mes étudiants vont de la 1ère année de la Grande École aux participants en formation continue. J’enseigne donc à des publics assez variés en expérience, profil et maturité, ce qui est un des charmes de mon métier. J’ai également des cours et ateliers à l’école Polytechnique.

Chaque année depuis 20 ans, j’accompagne environ 150 projets de startups par an, notamment comme directeur scientifique du programme « HEC Challenge+ ». J’assure également de nombreux ateliers et séances de tutorat, notamment à l’incubateur HEC.

Mais j’ai eu une autre vie avant cela. J’ai créé et dirigé deux entreprises innovantes pendant quinze ans, avec notamment des expériences de levées de fonds, de développement international et de fusion-acquisition.

Ce sont des divergences avec mes associés qui m’ont conduit, par un heureux hasard, à ma vie d’aujourd’hui. J’avais les plus grandes difficultés à argumenter mon point de vue lors d’une décision stratégique sur une levée de fonds. Je voulais éviter de vivre avec cette frustration et le moyen que j’ai trouvé pour ce faire consistait à reprendre des études, pour acquérir ce qui me manquait : des méthodologies et des concepts. J’ai donc fait l’Executive MBA d’HEC et c’est à cette occasion que la vocation d’enseigner m’a frappée. Un heureux concours de circonstance avec notamment la courte échelle proposée par un certain Etienne Krieger, m’ont permis d’enchaîner mon diplôme et mes débuts à HEC.

Je suis entré comme collaborateur administratif, mais on me demandait de plus en plus d’heures d’enseignement. J’avais donc la charge mais pas le titre ni le statut. On me disait toujours que je n’arriverais jamais à « briser le plafond de verre » et devenir prof.

Je pense qu’à ce stade, la résilience que j’avais acquise comme entrepreneur m’a servi. Je me suis bagarré, tout en acquérant le diplôme requis : un doctorat en sciences de gestion, après un Mastère de recherche en marketing de l’innovation.

A mes heures perdues, je suis également agréé comme médiateur par le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (conflits interentreprises). C’est pour moi une autre façon d’être utile à des entrepreneurs.

Enfin, j’exerce une activité de consultant et de « business angel ».

L’art, la science, l’innovation et vous

Évacuons d’entrée un des points de la question posée : l’innovation ne devrait pas être un sujet pour un entrepreneur. Je la vois comme consubstantielle. En effet, c’est bien le « couple produit/marché » qui devrait être la première obsession de chaque entrepreneur. Or, comment convaincre un client de changer de fournisseur si la nouvelle solution ne se démarque pas de celles qui existent ? Bref, sauf dans le cas (très rare) où la demande est supérieure à l’offre, l’entrepreneur est condamné à innover.

Le management, art ou science ? Bonne question. Cela dépend souvent des points de vue. Pour certains tenants des « sciences dures », c’est un art. Du reste, de nombreux entrepreneurs emblématiques (Bill Gates, Steve Jobs, Marc Zuckerberg, Elon Musk, entre autres) ont un parcours, soit interrompu avant leur diplôme, soit un cursus technique voire les deux.

Mais le caractère génial de ces personnages hors du commun est, par définition, très peu répandu. Il faut donc, analyser, modéliser et comprendre pourquoi certaines entreprises sont plus performantes que d’autres, afin de former tous les autres entrepreneurs sur la base de ces recherches.

Je suis donc convaincu que notre science humaine, le management, et notre champ l’entrepreneuriat, s’enseignent. Notre but est alors d’aider nos élèves et participants à dé- risquer leur projet. Quand on connaît le taux de casse dans les startups, c’est une ambition qui ne manque pas d’intérêt de mon point de vue. En tous cas, c’est facile de se lever le matin pour accomplir de telles missions.

Je pense à une troisième façon de répondre à cette question, parce que j’enseigne notamment dans notre Mastère MAC (Médias, Art et Création). Entre un marché de l’art échappant à toute rationalité, des médias à la peine face à la numérisation des contenus, et une création dominée par la culture anglo-saxonne, que de défis à relever pour les managers !

Les œuvres qui vous parlent

Trois œuvres musicales

Bien que je n’écoute finalement que peu de musique (sauf lorsque je cours, elle m’est alors indispensable), j’y suis aussi sensible que mes goûts sont variés.

Dans ma « playlist », on trouvera : de la classique, du rap, du jazz, de la variété française, des musiques de films, du rock, de la samba, et j’en passe.

C’est donc une liste très désordonnée et contrastée, et c’est ce que j’aime en matière de musique.

Si je devais distinguer trois œuvres pour me plier à l’exercice, je dirais le Requiem de Mozart (LIEN), la musique du « Clan des Siciliens » d’Ennio Morricone (LIEN) et « Fly me to the Moon » de Frank Sinatra (LIEN).

Trois œuvres littéraires

Je ne lis pas de romans, mais beaucoup d’essais, principalement d’histoire, de politique et de philosophie. Je lis aussi pas mal de bande dessinée.

Donc, si je devais atterrir sur une île déserte, j’emporterais : les 3 tomes de « C’était de Gaulle » de Peyrefitte, ou comment se retrouver littéralement dans le bureau de ce personnage incroyable qui a réussi trois vies (politique, écrivain et militaire). J’emporterais aussi tous les livres d’Antony Beevor sur la Seconde Guerre Mondiale, une époque qui me passionne et que je commence à bien connaître. Enfin, « Comment gouverner un peuple roi » de Pierre-Henri Tavoillot, ou l’éloge de l’obéissance.

Comme BD, j’emporterais la saga des « Maîtres de l’orge », une histoire de « family business », et 2 Blueberry : « La mine de l’Allemand perdu » et « Le Spectre aux balles d’or », qui voient Charlier et Giraud au sommet de leur art.

Autres types de créations

Je suis très amateur de cinéma, avec des goûts assez peu « intello ». Le Parrain (les 3 films) est ma référence absolue, toute la vie (et la mort) sont dedans.

J’aime aussi les comédies, et notamment : Les tontons flingueurs, Les barbouzes, Papy fait de la résistance ou La folie des grandeurs.

J’ai un faible pour les films « lents », comme ceux de Melville ou de Sergio Leone.

J’aime également les documentaires et suis un fan de YouTube de ce point de vue.

Je suis aussi fans de séries, américaines (The West Wing, la serveuse écarlate), anglaises (Downtown Abbey), scandinaves (Borgen) ou françaises (Dix pour cent, Le bureau des légendes).

En matière de peinture, j’apprécie Hopper et Basquiat.

J’aime beaucoup les standups. J’ai vu récemment Gaspard Proust et rêve de voir Blanche Gardin sur scène.

Enfin, je suis très sensible au design (j’ai lu plusieurs biographies de Raymond Loewy) et à l’architecture. Un modèle pour moi : Berlin, et notamment le Reichstag, qui mélange si harmonieusement l’ancien et le moderne.

Trois clichés personnels

C’est une vue du canal latéral à la Garonne, tout près de ma maison de vacances dans le Lot et Garonne. La beauté de ce pays, son authenticité, ses lumières (et l’absence de touristes) m’ont enthousiasmé il y a 20 ans. J’y passe de plus en plus de temps, jamais assez à mon goût.

Une photo du « vieux » Miami, dans un style art-déco dont je suis totalement fan, également pour les meubles (malheureusement inaccessibles).

New York, Ground Zero, particulièrement fascinant car la dernière fois que j’y étais allé, j’étais monté en haut de l’une des tours.

Grands défis et propositions

Avec cette rubrique, on se risque dans le bizarre !

Dans ce monde étrange dans lequel nous vivons, ce qui m’interpelle particulièrement, c’est l’accélération du temps. Si on va trop vite, on ne peut pas réfléchir, et ce sont les émotions qui gouvernent.

Or, je suis sensible au temps long, à l’histoire, à la recherche, à la prise de recul.

Donc, si j’avais un pouvoir, je l’utiliserais pour agir sur ce que je considère comme les 2 principaux ennemis du temps long : les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu.

« Vaste sujet » comme a répondu un jour de Gaulle à quelqu’un qui criait « Mort aux cons ! ». En effet, la ligne de crête entre contrôle et liberté d’opinion est étroite.

Mais la bataille est aussi culturelle et philosophique : les médias sont-ils une marchandise comme les autres ? Je ne le crois pas, et en la matière, la formule entre un système public (qui sera soupçonné d’étatisme) et privé (qui sera accusé d’ultra libéralisme économique) est également très difficile à trouver.

Parfois, je me dis qu’en France nous sommes plus proches que d’autres de cet équilibre, mais lorsque je tombe sur une émission de télé-réalité en zappant, j’ai un doute…