Entretien réalisé par Etienne Krieger le 11 décembre 2020

J’ai eu le plaisir de travailler avec Valérie Gombart pendant cinq ans au sein du conseil d’administration de XIRING, une superbe startup cotée en bourse. Avant créer Hi inov avec Pierre-Henri Dentressangle, Valérie était membre du Directoire de Seventure, une société de capital-innovation très active dans le domaine des technologies de l’information. Elle avait fait confiance dans la capacité de Georges Liberman, le dirigeant de XIRING, à développer une nouvelle offre de sécurisation des transactions. Cette intuition doublée d’une analyse approfondie s’est avérée éminemment opportune puisque deux ans plus tard cette startup s’introduisait en bourse pour devenir une des plus belles valeurs du compartiment des petites et moyennes entreprises d’Euronext (SBF 120). Ces réunions m’ont permis d’apprécier le talent de Valérie Gombart, qui va bien au-delà de l’analyse financière puisqu’elle sait jauger les situations stratégiques, la dynamique d’une organisation, ses capacités et contingences opérationnelles. En dépit du sérieux de ces réunions, la bonne humeur était toujours inscrite à l’ordre du jour et j’ai moi-même beaucoup appris durant la période comprise entre l’introduction en Bourse et l’OPA amicale effectuée par INGENICO en 2011. Les grands professionnels conjuguent souvent culture et sens de l’humour pour éviter de se prendre trop au sérieux. Cette philosophie se traduit chez Valérie par de nombreux centres d’intérêt et, en particulier, une véritable passion pour la musique classique. Dans une autre vie, Valérie a dû être concertiste et collectionneuse de pianos, de clavecins et de clavicordes. Entrepreneure-investisseure doublée d’une mélomane, Valérie Gombart est selon l’acception de l’économiste Joseph Schumpeter l’archétype de l’éphore de l’économie d’échange. En finançant des talents, elle permet à des entrepreneurs de réaliser leurs rêves et elle crée bien davantage que de la valeur financière puisqu’elle ambitionne depuis toujours de soutenir des entreprises « portées par la volonté d’avoir un impact positif sur le monde ».

Bonne lecture !

I had the pleasure of working with Valérie Gombart for five years on the board of directors of XIRING, a superb publicly traded startup. Before co-founding Hi inov with Pierre-Henri Dentressangle, Valérie was a member of the Executive Board of Seventure, a venture capital company highly active in the field of information technologies. She had trusted in the ability of Georges Liberman, the leader of XIRING, to develop a new secure transaction offering. This intuition, combined with a thorough analysis, proved to be immensely opportune, as two years later, the startup went public and became one of the most prominent values in the Euronext Small and Mid Cap (SBF 120) segment. These meetings allowed me to appreciate Valérie Gombart’s talent, which extends far beyond financial analysis, as she can assess strategic situations, organizational dynamics, capacities, and operational contingencies. Despite the seriousness of these meetings, good humor was always on the agenda, and I myself learned a lot during the period between the IPO and the friendly takeover by INGENICO in 2011. True professionals often combine culture and a sense of humor to avoid taking themselves too seriously. This philosophy is reflected in Valérie through various interests, notably a genuine passion for classical music. In another life, Valérie must have been a concert performer and a collector of pianos, harpsichords, and clavichords. Entrepreneur-investor and a music lover, Valérie Gombart is, according to the economist Joseph Schumpeter’s definition, the archetype of the steward of the exchange economy. By financing talents, she enables entrepreneurs to fulfill their dreams, and she creates far more than financial value, as she has always aimed to support companies ‘driven by the desire to have a positive impact on the world.’

Happy reading!

eK

Votre parcours et votre activité actuelle

Je suis diplômée d’Audencia et d’un 3ème cycle de droit de l’ingénierie financière. Après 14 ans où j’ai appris puis développé avec passion le métier d’investisseur early stage en technologie au sein d’une grande banque française, j’ai eu à mon tour l’envie d’entreprendre, et j’ai cofondé en 2012 avec Pierre-Henri Dentressangle Hi inov, une société de capital-innovation que nous définissons comme un entrepreneur-investisseur qui apporte son réseau (nos souscripteurs sont pour l’essentiel des industriels et des Familly Offices) et ses compétences organisationnelles de développement des sociétés de croissance, aux startups du digital BtoB. Huit ans plus tard, Hi inov a bien grandi, et compte 10 collaborateurs, gérant un portefeuille de 29 entreprises, en France, Allemagne et au Benelux, parmi lesquelles quelques pépites devenues des leaders mondiaux comme Platform.sh, Agorapulse, 360Learning ou encore Famoco.

Parmi mes succès antérieurs au lancement de Hi inov, j’ai eu la chance d’accompagner depuis leurs débuts jusqu’à leur cotation en bourse Cimpress (ex Vistaprint), cotée au Nasdaq, leader mondial de l’impression en ligne, Parrot, leader mondial des périphériques du téléphone mobile, et Xiring (cotée puis cédée en 2011 à Ingenico).

L’art, la science, l’innovation et vous

Durant toutes mes études, je n’ai jamais vraiment pu choisir entre les lettres et les sciences, la poésie et la rationalité, et çà reste vrai dans ma vie d’adulte. Mon métier m’amène à vivre à la pointe des innovations technologiques les plus époustouflantes, à tel point que je ne prends plus aucun plaisir à visionner les films de sciences de fiction et leurs technologies « magiques et futuristes » ; pour moi, c’est du déjà vu 😉

En matière de sciences, je me passionne pour les neurosciences et leurs applications en matière d’intelligence artificielle, les biotechnologies, et surtout, les sciences du développement durable ; je me félicite du plan de 7 Milliards d’€ du gouvernement français pour le développement de la filière hydrogène, et j’espère voir dans les décennies à venir la maîtrise industrielle de la fusion nucléaire pour la production d’énergie.

Dans le même temps, une autre part de moi ne peut vivre sans s’évader dans la pratique quotidienne de la musique. Toutes mes journées démarrent au piano, à la découverte des œuvres de Bach, Chopin, Schubert, Fauré, Debussy, et bien d’autres.

Les œuvres qui vous parlent

Trois œuvres musicales

Tellement difficile pour moi de choisir seulement trois œuvres ! Pour être équitable, j’ai choisi des pièces qui mettent en avant mes trois compositeurs préférés, chacune écrite pour l’un des instruments rois de la période romantique, le piano, le violon et le violoncelle, en sélectionnant celles qui m’ont provoqué la plus forte émotion à la première écoute :

  • La chaconne de la partita en ré mineur de Jean-Sébastien Bach, par Hillary Hahn : LIEN

Cette pièce, dans ses 8 premières mesures, qui sonnent comme un long cri, est pour moi l’expression même de la douleur humaine : elle a été écrite par le compositeur très peu de temps le décès de sa première épouse,

  • La sonate en la mineur Arpeggione de Schubert, pour piano et violoncelle, par deux immenses musiciens, Britten et Rostropovitch : LIEN

Impossible d’avoir un doute après l’avoir entendue sur la réputation de meilleur mélodiste de son temps de Franz Schubert

  • La ballade en sol mineur de Frédéric Chopin, par le jeune pianiste russo-coréen Arsenii Mun, c’est sobre, mais poignant : LIEN

C’était l’une des œuvres préférées du compositeur lui-même !

Ma playlist est quasi exclusivement composée d’œuvres classiques : on y trouve de jeunes interprètes incroyablement talentueux comme Cyrielle Golin et Antoine Mourlas et leur album « un moment musical chez les Schumann » (LIEN) ou encore Bruno Philippe et Tanguy de Willancourt dans leur superbe interprétation de la sonate Kreutzer de Beethoven : LIEN. Y figurent aussi en bonne place et parmi les plus écoutés les 2 concertos pour piano de Chopin par Rafal Blechacz, les suites pour violoncelle de Bach par Mstislav Rostropovitch, l’intégrale de l’œuvre pour piano Rachmaninov par Vladimir Ashkenazy, Les impromptus et moments musicaux de Schubert par Alfred Brendel, l’intégrale des œuvres pour clavier de Bach par Glenn Gould, 56 Marzukas de Chopin par Arthur Rubinstein, toutes les œuvres pour piano de Brahms par Julius Katchen ou encore les 32 sonates de Beethoven par Yves Nat.

Trois œuvres littéraires

Seulement trois ? Là encore, quel exercice difficile pour moi qui dévore les livres depuis mon plus jeune âge ! Alors j’ai sélectionné les œuvres lues dans ma jeunesse qui m’ont profondément marquée :

  • La saga des Rougon-Macquart par Emile Zola, incroyable fresque de la société humaine sous le second empire inspirée des découvertes toute récentes sur le poids de l’hérédité (oui, je sais, je triche, il y a 20 romans ;-).
  • L’étranger de Camus, roman qui glace le sang dès sa première phrase : « aujourd’hui maman est morte » et première description au roman de la psychopathie.
  • La métamorphose de Franz Kafka, roman grâce ou à cause duquel je me suis longtemps interrogée sur notre prise réelle sur le cours de notre existence.

J’aurais pu ajouter « l’insoutenable légèreté de l’être » de Milan Kundera, « la porte étroite » d’André Gide », « Vipère au poing » d’Hervé Bazin, « l’arrache-cœur » de Boris Vian…  Je suis une grande fan des romans d’Eric-Emmanuel Schmitt, et notamment ses romans de cycle de l’invisible, d’Emmanuel Carrère (D’autres vies que la mienne) ou des romans fantastiques de l’auteur catalan Carlos Luiz Zafon (le jeu de l’ange).

Autres types de créations

En peinture, je suis sensible aux jeux des couleurs qui font la forme : les tableaux de Vincent Van Gogh m’évoquent des flammes de lumières qui jouent sur la toile. J’aime les couleurs brutes de Matisse, les couleurs seulement primaires de Miro, qui donne cette impression de naïveté aux formes.

Je vais peu au cinéma ou au théâtre. Je n’aime pas laisser le déroulement d’un film ou d’une pièce décider à ma place de mes moments d’émotion et du rythme auquel j’entre dans l’histoire : par rapport au livre, j’ai l’impression de me voir confisquer par l’image une grande partie de mon imaginaire. Je suis immanquablement déçue par l’adaptation au cinéma des romans que j’ai lus, et vice versa.

Il a tout de même quelques films qui m’ont marquée comme « le cercle des poètes disparus », « la leçon de piano » (je l’avoue, surtout pour les magnifiques compositions de Michael Nyman), « le pianiste », « je vais bien ne t’en fais pas », « la liste de Schindler » et « la vie est belle ».

Trois clichés personnels

J’aime saisir au gré de mes ballades dans la nature, vitales pour moi, les beautés éphémères comme un jeu de lumière, de reflets, un ciel ou des couleurs extraordinaires : quelques exemples ci-dessous de ce que j’appelle « mes chasses aux belles images ».

Couleurs d’automnes au parc de Bagatelle, Paris, Bois de Boulogne ; cette photo m’évoque les toiles de Vincent Van Gogh.

Bergen, en Norvège, est la ville d’Europe qui affiche la plus importante pluviométrie ! Une aubaine pour ma chasse aux images que ce rayon de soleil éclairant les maisons de commerce colorées malgré un ciel de plomb, qui se reflète dans une mer noire d’encre …

Instant magique et éphémère dont se dégage une grande sérénité dans la campagne norvégienne

Grands défis et propositions

Le plus grand défi de notre époque est sans doute celui du réchauffement climatique qui menace la survie même de notre espèce à l’échelle mondiale.

Va-t-il nous rendre collectivement plus inventifs, pour échapper au pire ? Plus solidaires à l’échelle planétaire, grâce à la prise de conscience d’une finitude collective, qui rebattrait les cartes des priorités ?

Ou au contraire l’homme va-t-il à nouveau laisser libre cours à ses pires instincts, dans l’unique but de la survie de quelques-uns, les plus forts ou les mieux armés ?

Hobbes contre Rousseau, le débat n’est pas nouveau 😉

La menace qui n’est pas à négliger et qui vit ses heures de gloires dans une période où la pandémie de coronavirus ravive la peur de l’autre, est celle des extrêmes, dont le fonds de commerce est le repli sur soi, le communautarisme, le retour de l’obscurantisme avec la fustigation du progrès technologique et de l’innovation, la poursuite d’utopies qu’elles soient religieuses comme l’islamisme radical ou idéologique comme certains courants extrémistes écologiques. Le Brexit, les slogans de type « America First » sont les symptômes d’une angoisse face à l’avenir des peuples qui ont été trop rapidement bousculés et précarisés par une mondialisation qui s’est emballée, en ne considérant l’individu que dans sa dimension de consommateur.

Les signaux faibles que je repère chaque jour me rendent optimiste : la génération d’entrepreneur.e.s que je finance aujourd’hui est portée par une volonté d’avoir un impact positif sur le monde, et, sous le vocabulaire tout nouveau de Techforgood, fleurissent les entreprises solidaires, inclusives, et pleines d’inventivité pour cesser de gaspiller, pour recycler, pour inventer les énergies propres de demain.

Je suis confiante dans notre capacité collective à inventer une croissance durable, respectueuse de cette terre qui nous porte et nous nourrit, respectueuse des êtres vivants qui la peuplent, objectif qui ne pourra être atteint qu’en innovant et en rassemblant nos forces dans un ultime effort pour nous sauver.