Entretien réalisé par Etienne Krieger le 7 janvier 2021

Les rêves de Raphaëlle Danis sont plus vastes que l’océan. Ce dernier est pour elle autant un objet de recherche que de contemplation. Il était donc écrit qu’elle ferait équipe avec un alter ego qui, comme elle, vit sur deux tableaux : l’art et l’entrepreneuriat. J’ai fait la connaissance de Raphaëlle et de son mari Nicolas grâce à un programme qui amène HEC Paris à envoyer à l’autre bout du monde des professeurs prêts à braver les rigueurs de l’hiver calédonien où la température de l’eau avoisine les 21°C… Raphaëlle m’a sensibilisé aux dangers de la pollution aux hydrocarbures des épaves sous-marines, qui constituent de véritables bombes à retardement écologiques. La création par Raphaëlle et Nicolas d’un fonds de dotation combinant mécénat, art et environnement procède de leur volonté d’innover et de ne pas baisser les bras devant l’ampleur de la tâche. Sa vision de l’art et de la science comme sources d’innovation est aussi vivifiante que l’évocation de sa bibliothèque musicale et de ses références culturelles. Les préoccupations écologiques ne sont jamais très loin de mes discussions avec Raphaëlle, tant elle a conscience des outrages que l’humanité inflige à la Nature depuis plusieurs décennies. Grâce à l’action de personnes comme elle, la science et l’art nous aideront à sortir des impasses écologiques actuelles. Là où il y a une volonté, il y a un chemin…

Bonne lecture !

Raphaëlle Danis’s dreams are as vast as the ocean. For her, the ocean serves both as an object of research and contemplation. It was therefore destined that she would team up with a kindred spirit who, like her, thrives in two domains: art and entrepreneurship. I had the opportunity to meet Raphaëlle and her husband, Nicolas, thanks to a program that brings HEC Paris professors to the other side of the world, ready to brave the rigors of the New Caledonian winter, where the water temperature hovers around 21°C. Raphaëlle made me aware of the dangers of hydrocarbon pollution from underwater wrecks, which represent real ecological time bombs. The establishment of a foundation combining patronage, art, and the environment by Raphaëlle and Nicolas reflects their determination to innovate and not give up in the face of the magnitude of the task. Her vision of art and science as sources of innovation is as invigorating as the mention of her music library and cultural references. Ecological concerns are never far from my conversations with Raphaëlle, as she is acutely aware of the damage humanity has been inflicting on Nature for several decades. Thanks to the actions of individuals like her, science and art will help us overcome the current ecological impasses. Where there’s a will, there’s a way…

Happy reading!

eK

Votre parcours et votre activité actuelle

J’ai un parcours professionnel plutôt éclectique. Je me suis éduquée en Sciences par passion pour l’environnement et par curiosité envers l’océan. J’ai eu très vite conscience que la compréhension des interactions que l’homme opère avec la nature permettrait de la protéger. J’ai une licence en Biologie Cellulaire et Neuroscience (Université de Bordeaux) et un master en Océanographie et sciences du Climat spécialité modélisation (Université de Marseille).

En 2013 je me suis envolée direction le Pacifique pour travailler au sein du prestigieux I.R.D. de Nouméa. J’y ai fait mon mémoire sur l’étude des variations de concentrations de chlorophylle océaniques via des images satellites et des données in-situ. J’ai par la suite été recrutée en tant qu’ingénieure en modélisation physique au sein de l’Association Calédonienne de Surveillance de la Qualité de l’Air (Scal’Air), où les techniques d’analyse des courants atmosphériques sont parallèles à celles utilisées pour les Océans. 

A 25 ans j’ai dû faire un choix : continuer ma route d’Océanographe et saisir des opportunités excitantes dans le monde, ou bien vivre auprès de l’homme que j’avais rencontré à Nouméa, Nicolas. A cette époque j’ai écouté mon cœur et je n’ai pas de regret. J’ai « dévissé » pour rejoindre la gérance de la société qu’il venait de cofonder avec un ami : une chaudronnerie-métallurgie industrielle. J’y ai développé des postes de directions (Sécurité-Qualité, AF, RH).

J’ai une grande dévotion pour mon travail. Trouver l’entrepreneuse qui sommeille en moi ne fut pas sans remise en question, travail, ni peine, surtout dans un milieu inconnu car très éloigné de ma formation initiale et très masculin !

Mais je me lasse très vite du manque de perspective d’apprentissage, j’ai besoin d’engranger des savoirs. J’ai donc mis à profit ma rigueur scientifique et mon émulation pour apprendre, en autodidacte, et in fine apprécier les défis managériaux, de stratégies financières et les techniques du secteur.  Qualifiée d’outsider, l’entreprise est aujourd’hui une belle PME avec un portefeuille client en exponentielle croissance. Au quotidien, je trouve l’énergie dans ma pratique professionnelle à travers les valeurs et l’âme de notre structure. Jeunes entrepreneurs, notre philosophie est de cibler la qualité et l’innovation tout en favorisant l’apprentissage. Nous avons par exemple à cœur de guider des jeunes vers un métier en lien avec les valeurs du compagnonnage, reflet du parcours des fondateurs.

Cette opiniâtreté offre aussi une grande liberté, d’action et de rêve ! Elle a notamment permis de faire germer un ambitieux concept. Avec Nicolas, nous partageons ce même degré d’engagement, parfois sacrificiel, pour nos activités. Nous savons qu’ensemble tout devient possible. Déterminés et humanistes, nous construisons le projet de nos rêves.

Ma passion est l’Océan, la Nature / Ma mission est la préservation de la biodiversité en permettant aux personnes d’agir, de s’accomplir et s’émanciper / Ma vocation est d’avoir une utilité et un impact positif durable aux dimensions environnementales, sociale et économique. Nicolas n’est pas seulement un entrepreneur, c’est un artiste brillant et passionné par le travail de la matière.

Nous partageons les mêmes valeurs. Nous traduisons notre raison d’être à travers la création d’un fonds de dotation novateur appelé Thanks For Her (TFH) qui vise à incuber et coordonner mondialement des recherches et des solutions pour la dépollution sous-marine. En supplément du mécénat classique, cet entreprenariat social propose un business model philanthropique en 3D : mécénat-art-environnement.

En cours de diplomation pour un Master MUST HEC Paris, je réalise ma thèse sur l’émergence de TFH. C’est d’ailleurs grâce à cette magnifique aventure que j’ai eu la chance de rencontrer Etienne.

Je consacre également depuis 2016 une partie de mon temps libre aux Soroptimist, une ONG internationale accréditée auprès de l’ONU, qui agit pour éduquer, autonomiser et promouvoir la condition des femmes et des enfants dans leur communauté. Nous apportons une aide concrète aux personnes dans le besoin sur notre territoire. Ces valeurs de sororité mises au profit d’autrui sont très importantes dans mon équilibre quotidien. Je candidate cette année pour la présidence des Outre-mer.

L’art, la science, l’innovation et vous

Ce qui nous arrive aujourd’hui est tout à fait exceptionnel parce que sans correspondance, sans rapport avec les codes sociaux et les situations passées. Cette singularité n’est pas sanitaire mais contextuelle. La pandémie de COVID-19 s’étend de façon immédiate et mondiale, fruit d’une rupture de la barrière des espèces. Elle est associée à un contexte de défaillance généralisée (social, économique, environnemental). Les enjeux incertains mettent en exergue le paradoxe d’un monde globalisé, connecté mais où les liens disparaissent. Cela nous oblige à réfléchir quotidiennement et envisager le futur de manière « Glocale ».

Ce contexte est à la fois inquiétant et rassurant car il montre que les humains sont capables de tout et la question-clé est celle de leurs désirs, de leurs intentions et de leurs réalisations.

C’est alors que je vois un parallèle intéressant avec l’art (qui propose de l’inédit), la science (qui propose une logique, un sens commun) qui, indépendamment ou conjointement, sont des activateurs de l’innovation. Les schèmes de perception et d’action permettent à l’humain de produire de nouvelles pratiques, nécessaires, adaptées au monde social réel dans lequel il évolue.

La synergie, voire même l’hybridation du trio art-science-innovation, permet une démarche radicale et interdisciplinaire qui s’impose dans beaucoup de domaines. Le monde des entreprises offre plusieurs exemples de ce décloisonnement. Certaines sociétés collaborent avec des scientifiques et offrent des résidences d’artistes, pour aider à préfigurer, anticiper des usages ou des produits. Elles cultivent la notion d’« avant-garde » nécessaire à l’innovation, qu’elles mettent en perspective avec les logiques expérimentales de développement et d’efficacité rationnelle. Le programme européen FET « Future and Emerging Technologies » par exemple, vise à explorer de nouveaux domaines de recherches de pointe pour aboutir à des technologies disruptives en robotique et en biologie.

Par sa naturelle créativité, sa déviance et sa provocation, l’art a le pouvoir de faire éclater nos représentations, changer de perspectives et offrir une expérience esthétique, qui, mêlée à la puissance des raisonnements scientifiques ouvre des champs de recherches notateurs et visionnaires.

En s’appuyant sur des modes de pensées non-conventionnels, ces démarches vers l’innovation élargissent de manière surprenante les potentialités de la technique. Il s’agit là d’une véritable richesse si toutefois les intentions, les finalités n’occultent pas les aspects éthiques. Le formidable développement des compétences humaines doit contribuer à potentialiser la face lumineuse de nos sociétés comme les actions solidaires exemplaires et philanthropiques modernes et non pas à prétexter le développement de la face obscures de contrôle, surveillance, traçabilité…

Modestement, à travers le fonds TFH nous créons des vases communicants essentiels en associant le marché de l’art et les entreprises pour potentialiser le mécénat. Nous faisons partie d’une génération qui a terriblement besoin d’entreprenariat social au sens de responsabilité sociétale. Imaginé comme une start-up philanthropique, TFH place l’intérêt général au cœur d’un business non lucratif, où les stratégies financières, les outils numériques et la culture sont au service de problématiques environnementales. A travers une coordination mondial depuis le Pacifique, en distanciel car adaptée au monde actuel, TFH incube, informe, intervient pour coordonner des recherches et des solutions impactantes et innovantes autour d’une situation urgente, mondiale, inquiétante et pourtant méconnue : la pollution aux hydrocarbures des épaves sous-marines.

Avec passion, raison et opportunité, ce projet bouscule les codes économiques traditionnels. L’art apparait comme une force de médiatisation et de financement au profit du déploiement de connaissances scientifiques et des actions de terrains avec pour pivot les citoyens et les objectifs de responsabilités sociales des entreprises. Tel est notre Job to be done !

Les œuvres qui vous parlent

Trois œuvres musicales

Le choix est cornélien !

  • Gnossienne No. 1 (Erik Satie) LIEN: un morceau que j’ai décortiqué, pratiqué avec envie au piano et celui que j’ai présenté pour mon examen au conservatoire il y 15 ans… Ce morceau ensorcelant a cette part de mystique et de suspens avec ces mouvements largo et lento, qu’à le jouer ou l’écouter je ne me lasserai jamais.
  • Beirut (Ibrahim Maalouf) LIEN: Le trompettiste a composé cette chanson en écho à une vision d’horreur, de mort, lors d’une balade dans les rues de Beyrouth. Cette mélodie est gracieuse, élégante, triste et contrastée. Elle me transporte et m’émeut. Elle fut mon réveil pendant longtemps mais j’ai depuis arrêté car je restai facilement 20 min de plus au lit pour l’écouter jusqu’à la fin, causant quelques retards à l’allumage…
  • Ain’t Got No, I Got Life (Nina Simone) LIEN: Cette œuvre est poignante, antimatérialiste à souhait. La force de sa voix reflète ses blessures et transmet une émotion inouïe. Pianiste prodigue, « prêtresse de la soul », j’admire aussi la femme libre qui a rêvé de changer une Amérique rongée par la ségrégation.

Dans ma bibliothèque Spotify on trouve aussi de façon non exhaustive … Queen, Miles Davis, Alicia Keys, Philip Catherine, Tricky, Yusef Lateef, Michel Petrucciani, John Coltrane, Keith Jarrett, Georges Brassens, Muse, Art Blakey & The Jazz Messengers, The Blaze, Mc Solaar, M, The XX, Solange, Herbie Hancock, Serge Gainsbourg, Benjamin Biolay, Pink Martini, Vanessa Paradis, Brigitte, Lana Del Rey, Celeste, Led Zeppelin, Alain Souchon, Sébastien Tellier, John Frusciante, The Cure, Frank Ocean, Bon Iver, Dire Straits, IAM, Christophe, The Smiths, NTM, Daft Punk, Tracy Chapman, Mickael Jackson, Fugees, Teyana Taylor, Amy Winehouse, Lauryn Hill, Eminem, Beyoncé !…

Trois œuvres littéraires

  • Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (Harper Lee) : ce livre m’a bouleversé. Il est une porte de réflexion sur la condition humaine. Dans un décor américain, l’auteur dépeint des personnages diablement attachants. Ce livre porte un message de tolérance et de justice. Il démontre la force de ses convictions face à l’injuste réalité du monde. Un proverbe américain dit que « Tuer un oiseau moqueur est un péché » ; La référence est belle car tuer un oiseau moqueur, comme s’attaquer à un enfant ou condamner un innocent, c’est détruire l’espoir, nier la beauté et asphyxier l’innocente lueur de l’enfance présente en chacun de nous.

  • En avant toutes. Les femmes, le travail et le pouvoir (Sheryl Sandberg) : il s’agit de ma dernière lecture, très fortifiante, vivifiante et inspirante. Truffé d’anecdotes sur son parcours et de données factuelles, l’autrice offre des conseils avisés (elle figure parmi les 50 femmes d’affaires les plus puissantes d’après Fortunes) et propose un angle féministe au goût du jour car nécessairement inclusif.
  • L’écriture ou la vie (Jorge Semprún) : Dans cette ouvrage déchirant, l’auteur dit « vivre sa mort ». Il témoigne de la cruauté des hommes sur leurs semblables et l’horreur du camp de concentration qu’il a connu. Dans cette écriture thérapeutique, cette démarche vitale pour lui, se glissent des souvenirs, de la littérature, de la poésie, de la philosophie. Ce livre est brutal et magnifique.

Autres types de créations

  • Jeune je lisais beaucoup de bandes dessinées, notamment celles de mon père – Corto Maltese (H. Pratt), XIII (Y. Sente, I. Jigounov), Calvin & Hobbes (B. Watterson). J’ai conservé ce goût, qui peux parfois paraitre régressif mais tout autant instructif et créatif. J’aime le fait qu’il est facile d’interrompre sa lecture et la reprendre, engloutir un ouvrage d’une traite ou déguster quelques morceaux par-ci par-là. J’apprécie par exemple, absolument tous les livres de Margaux Motin qui sont un vrai bol d’air, les Largo Winch (J. V. Hamme), Persepolis (M. Satrapi), Le dernier grand voyage d’Olivier Duveau (Jali).
  • J’aime les documentaires d’histoire (e.g. « Les grands mythes – L’Illiade » sur Arte), scientifiques (e.g. sur l’astronomie « Le cosmos et les origines de la vie » sur Arte) et d’aventures (e.g. « La vie au bout des doigts » de J-P. Janssen sur l’exploit du grimpeur à main nues P. Edlinger, « Sea Gypsies » de N. Edwards racontant une navigation en Antarctique, ou encore les expéditions océanographiques de la goélette Tara, évidemment). Je suis fan des périples d’Antoine de Maximy, qui dans son concept d’émission novateur « J’irai dormir chez vous », propose avec humour, spontanéité et authenticité un regard sur nos sociétés qui invite à la réflexion.
  • J’ai un grand attrait pour les concerts, les pièces de théâtres et l’esthétisme provocant de l’art contemporain. En Nouvelle-Calédonie nous avons peu de spectacle culturel vivant, mais dès que l’occasion se présente je profite des scènes, des musées, de ces balades hors du temps horaire. En 2019 j’ai découvert le festival américain utopique « Burning Man », je trépigne d’impatience de pouvoir y retourner ! Coté cinéma, Internet nous offre une large bibliothèque. Je citerais spontanément trois films que j’apprécie : les connus « Et Dieu… créa la femme » (R. Vadim), « Manon des sources » (C. Berri) et les moins connus « A Deriva » (H. Dahlia) un film poétique que j’ai vu une dizaine de fois !
  • De façon tout à fait amateur j’apprécie les art dits « plastiques », pour les émotions qu’ils procurent et l’échappatoire qu’ils offrent dans un quotidien frénétique et borné. Pour ne citer que quelques exemples :
  • Les peintures de Salvador Dalí et notamment Le Torero hallucinogène ». Cette œuvre que j’ai eu la chance de voir exposée en Floride, regroupe une grande partie des thèmes visuels de Dalí, notamment la mort et la résurrection. J’ai une grande passion pour l’artiste : surréaliste, barré, avant-gardiste, anticonformiste dans sa vie et sur ces toiles.
  • La photographie :

e.g. de Sally Man, qui expérimente la beauté des femmes, obsédante, désirable, libre.

e.g. de Jacques Brun, qui envisage la nature comme une utopie et transforme un quotidien banal en paradis romantique.

e.g. sur Instagram les coquillages de @shelllphotography et les nues de @kim_akrich, sont des plaisirs quotidiens.

  • L’art de la poterie : Je pratique le tournage de la porcelaine. Ce médium est d’une telle poésie, délicatesse et pureté. Tout m’attire dans la céramique et dans le tournage de la terre en particulier, à travers son toucher sensuel et la jubilation de voir prendre forme sous ses doigts une pièce ou un raté ! C’est un véritable hédonisme pour moi. Lorsque je ne peux pas tourner, je passe des heures à regarder des vidéos de potiers japonais ou coréens (regarder e.g. cette VIDEO). Les artistes comme Adam Buick, Cica Gomez et Angela Mellor ont des techniques et des pratiques très diverses et toutes magnifiques.

Trois clichés personnels

  • L’Océan et le Ciel :

(Presque) quotidiennement, mon défouloir sportif (la course ou la pratique du yoga) se déroule proche de l’Océan que je chéris et me qui réconforte. Cette photo est une parmi des centaines de ma bibliothèque, prises au cours de mes ballades où je m’émerveille et capture ces quelques secondes de bonheur entre le ciel et la mer, comme un privilège que je crois être la seule à percevoir. Grande contemplatrice, j’aime passionnément l’océan : son bruit, son odeur, son mouvement, sa simplicité apparente qui inspire tant d’artistes et sa complexité qui fait bucher tant de scientifiques ! Je suis tellement reconnaissante de vivre au pied de cet immense Pacifique.

  • Mes arrière-grands-parents paternels :

Deux humains qui ont marqué ma vie à jamais :

L’un, mon arrière-grand-père, par sa détermination. Mort à 103 ans, c’était un personnage ! Un vrai leader familial, qui racontait ses anecdotes de guerre rocambolesques et faisait du ski et son potager jusqu’à ses 100 ans.

L’autre, mon arrière-grand-mère, par sa sagesse, son regard sur le monde. Une grande âme, aimante et courageuse.

Elle vient de souffler ses 101 ans, mais vit aujourd’hui en EHPAD et subit la solitude dans ce monde COVIDé…

Cette photo a été prise le jour de leurs 80 ans de mariage dans leur maison Vosgiennes, un jour ou les 5 générations de la famille étaient réunies. Un très précieux souvenir. Mes arrières grands-parents étaient un couple complice qui s’aimaient d’un amour sincère et véritable. A mes yeux, l’amour dans la vie, au sens Phileo, a une place très importante…

  • Allegoriam :

Il s’agit du nom de l’œuvre de mon talentueux mari Nicolas. J’ai pris cette photo au cours d’une mise en scène que nous avons faite à Nouméa. Elle représente la martyrisation des choses qui nous sont chères. Quoi de mieux que les mots de son créateur pour la raconter : « Allegoriam, œuvre plurielle, synthèse philosophique à la croisée des chemins compagnonniques et d’autres cercles d’œuvriers et de pensés. Héritière émotionnée, cette allégorie, résulte d’une complexité sentimentale, génératrice de messages, les rendant audibles. Une concrétisation masochiste de l’esprit poussée à son paroxysme et miroir d’un monde qui n’en finit pas de se martyriser. Reflet de nos sentiments et de nos incohérences, l’œuvre appréhende et arpente la courbe du deuil, dont le labeur d’hier est le vaisseau d’expression de demain. Car ici, l’artiste presse son histoire et sa matière, interroge ses pairs en libérant son expression dans son entièreté ».

Grands défis et propositions

Les défis mondiaux auxquels nous faisons face sont le triste résultat de signaux faibles que les générations passées ont préféré occulter, soit délibérément, soit par négligence ou ignorance.

Comment accepter un monde qui épuise les ressources terrestres et océaniques et dévaste la biodiversité. Un monde où la faim est toujours présente, où la majorité des humains vivent dans des conditions indignes. Un monde fondé sur des inégalités criantes et grandissantes et où les processus démocratiques ne permettent pas la libre l’expression de tous.

Notre modèle de développement actuel n’est pas durable. Une approche pratique, effectuale, respectant les communs est déterminante. Les communs sont le substrat naturel (l’eau, l’air, le climat, la biodiversité…), c’est aussi la culture, les traditions et les institutions qui attestent d’une humanité commune au-delà des différences géographiques ou historiques.

Quid d’une population mondiale de 9,3 milliards d’individus en 2050 qui devra se nourrir, voudra consommer librement et équitablement alors que toutes les ressources se raréfient et que les humains poussent « les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie » (appel de 15 000 scientifiques dans BioScience le 13 nov. 2017).

Il est nécessaire de consommer et de produire différemment, mieux, si ce n’est moins. Tendre vers une économie circulaire en privilégiant le local, bannissant le déchet ultime, créant des emplois « verts », une fiscalité juste, accélérer la décarbonation de tous les secteurs de notre économie par des investissements et permettre une réelle coopération pour une stratégie mondiale vers des changements institutionnels et technologiques majeurs.

Les océans se sont réchauffés, les quantités de neige et de glace ont diminué et le niveau des océans s’est élevé (+22,5cm depuis 1900). Les scénarios scientifiques prédisent un emballement de ces élévations. Cela implique que des foyers d’émigration et d’immigration vont connaitre un exode de population importantes (probablement 300 millions d’humains) en quête de moyens de subsistance. Au-delà des raisons économiques, sociales ou politiques ces migrations climatiques ne sont qu’une part des migrations environnementales qui pourraient nous atteindre (dues à l’érosion des sols, aux séismes…).

Toutes les études montrent que les modifications anthropiques des processus physiques, chimiques ou biologiques, conduisent à des rétroactions entre le climat, l’océan et ses écosystèmes. La problématique à laquelle s’attèle TFH n’est qu’une partie de la crise environnementale et sanitaire inéluctable qui touche notre propre génération. Un compte à rebours de 10 à 20 ans concerne plus de 6300 épaves maritimes classées à risques qui contiennent entre 2,5 à 20,5 millions de tonnes d’hydrocarbures. Sachant que les coques d’aciers se corrodent de 2mm environ par décennie, nul besoin de préciser l’urgence des solutions et des actions nécessaires face à cette pollution invisible, latente, globale, désastreux reflet de la martyrisation humaine de la biodiversité.

Je suis convaincue que la recherche scientifique, les actions solidaires et citoyennes gérèrent une valeur incommensurable, plus fortes que tous les profits financiers accumulés. Cette création de valeur doit être privilégiée, encouragée et non pas étouffée par des paroles politiques qui prennent la forme de slogans plus que des programmes d’action.

L’éducation partout dans le monde doit être favorisée. L’instruction, l’apprentissage, la connaissance favorise l’émancipation, la mobilité socio-économique et constitue un moyen d’échapper à la pauvreté. L’éducation permet le développement des personnes dans le sens « empowerment », de la responsabilisation. Aujourd’hui, 57 millions d’enfants n’ont toujours pas accès à la scolarité. Au cours de l’année 2020, subissant la pandémie, la majorité des pays a imposé la fermeture temporaire d’écoles. L’enjeu est de mobiliser des ressources et mettre en œuvre des solutions innovantes et adaptées au contexte pour dispenser l’enseignement à distance, rechercher des solutions équitables et un accès universel.

En tout état de cause, les défis auxquels nous faisons faces sont interconnectés : la pauvreté, la paix, la justice, les inégalités de droits dans le monde et notamment ceux des femmes et des enfants dans leur communauté, sont autant de sujets qui me bouleversent et qui nécessitent que les futures générations soient solidaires et s’attèlent à des réponses coordonnées (pour éviter le chevauchement des efforts), prospères, globales et durables.

De nombreuses incertitudes entourent notre futur, pour autant qualifier les solutions possibles de « punitives » ou « contraignantes » sont des raccourcis dangereux et des contre-sens profonds. Nous sommes soit dans le déni soit dans la lucidité. Churchill disait justement « Le prix de la grandeur est la responsabilité ».