Entretien réalisé par Etienne Krieger le 14 mars 2021

François Pelen est un authentique entrepreneur, au sens schumpétérien du terme. Il n’a de cesse d’innover pour apporter un véritable service aux patients… Ces mêmes patients portaient souvent trop bien leur nom en devant attendre des mois avant de pouvoir consulter un ophtalmologue. La création des centres Point Vision a été une petite révolution dans le Landerneau de l’ophtalmologie et le Dr. Pelen est également un des pionniers de la télémédecine. Créer et développer une entreprise innovante requiert un travail considérable, des associés complémentaires, une équipe, des investisseurs et des partenaires qui constituent un écosystème unique en son genre. Tout cela, François Pelen l’incarne et partage régulièrement son expérience d’entrepreneur avec humour et brio.

Bravo Docteur et bonne lecture !

François Pelen is a genuine entrepreneur in the Schumpeterian sense of the term. He is relentless in his pursuit of innovation to provide genuine service to patients. These same patients often lived up to their name, having to wait for months before being able to consult an ophthalmologist. The creation of Point Vision centers was a small revolution in the world of ophthalmology, and Dr. Pelen is also one of the pioneers of telemedicine. Creating and developing an innovative company requires considerable effort, complementary partners, a team, investors, and partners that form a unique ecosystem. All of this, François Pelen embodies, and he regularly shares his entrepreneurial experience with humor and brilliance.

Congratulations, Doctor, and happy reading!

eK

Votre parcours et votre activité actuelle

Médecin ophtalmologiste, pharmacologue, diplômé du certificat d’études statistiques appliquées à la médecine (CESAM) et diplômé d’HEC, j’ai commencé mon activité professionnelle chez Sanofi dans des fonctions R&D de l’activité OTC (automédication) en dirigeant à 27 ans un service de 40 personnes dont 7 cadres. J’ai évolué progressivement vers des fonctions marketing, économiques et opérationnelles chez Boots, Monsanto Searle puis Pharmacia et Pfizer France où j’ai eu la chance de créer le poste de Vice-Président, customer marketing.

Tout au long de ma carrière, j’ai conservé pendant 38 ans (jusqu’en juin dernier) une activité de médecin attaché en ophtalmologie au sein de l’hôpital Henri Mondor (AP-HP, Créteil), ce qui m’a permis de garder les pieds sur terre.

J’ai eu la chance d’être co-auteur d’une vingtaine de publications scientifiques dans des revues avec comité de lecture.

J’ai publié plusieurs articles et tribunes sur la santé en France et la téléconsultation.

Je suis membre de la Société Française d’Ophtalmologie, de l’American Academy of Ophthalmology, de l’Association for Research in Vision & Ophthalmology, de la Faculty of Pharmaceutical Medicine of the Royal Colleges of Physicians of the United Kingdom, du Collège des Économistes de la Santé et membre du bureau d’HEC Santé.

J’ai publié en octobre 2020 aux éditions du Cherche-Midi un livre intitulé “Crise sanitaire : pourquoi il faut Presque tout changer. Le temps du Médecin entrepreneur”.

J’ai la chance d’être membre du corps enseignant du programme Challenge Plus d’HEC Paris.

Je suis co-fondateur du Groupe Point Vision, réseau de 40 centres d’ophtalmologie créé en 2011 et faisant maintenant travailler 900 personnes et prenant en charge plus d’1,2 million de patients par an.

Je conseille différentes sociétés dans le domaine de la santé.

L’art, la science, l’innovation et vous

L’innovation dans le domaine de la médecine me passionne. Il est bien évident que ce que j’ai vécu pendant ma carrière industrielle avait trait avec l’innovation de santé la plus pointue. Pour me limiter à Pfizer, nous dépensions plus de 7 milliards de dollars par an pour mettre sur le marché des médicaments qui ont révolutionné la santé de nos concitoyens : l’hypertension, l’hypercholestérolémie et dans une grande mesure le diabète ont vu l’avenir des patients transformé par des thérapeutiques qui ont permis de gagner plus de 20 ans d’espérance de vie en bonne santé en l’espace d’une génération. Ce fut une grande fierté de participer à cette épopée.

Mais il n’est pas nécessaire de dépenser des milliards pour innover en santé.

C’est ce que nous avons voulu démontrer dans le domaine de l’ophtalmologie : dans mes fonctions de VP customer marketing de Pfizer me remontaient des informations sur l’allongement des délais d’attente pour consulter un ophtalmologiste.

Nous avons travaillé avec Gérard de Pouvourville, un économiste de la santé et découvert que c’était la consultation de base qui posait problème. En tant qu’industriel, je voyais qu’en repensant complètement la chaine de valeur de ma spécialité d’origine, il était possible de répondre aux besoins de la population : une consultation de qualité dans des délais raisonnables et à un tarif raisonnable.

C’est ce que, avec mes deux associés fondateurs, Patrice Pouts et Raphaël Schnitzer, nous nous sommes attelés dès 2010, pour ma part en ayant pris la difficile décision de quitter Pfizer et un métier que j’aimais.

Tout d’abord innovation maintenant entrée dans les mœurs, nous avons mis en place les premiers la prise de RDV par internet, à un moment où Doctolib n’était même pas né.

Puis, nous avons décidé que, dans le travail d’un ophtalmologiste traditionnel, tout ce qui pouvait être fait par un administratif devait lui être délégué, de même pour le travail technique pouvant être assuré par un orthoptiste.

En faisant ces deux changements fondamentaux mais relativement simples (pas de R&D compliquée là-dedans) le médecin regagne beaucoup de temps médical : il peut donc mieux prendre en charge ses patients, et en voir plus.

Comme quoi, l’innovation, ce n’est ni des milliards, ni de la haute technologie !

Par contre, il faut aussi intégrer toutes les nouvelles machines, assez couteuses qui peuvent faciliter et améliorer le travail du médecin et donner toute leur place à l’IA et à la télémédecine : là c’est plus en rapport avec la science !

Alors, désolé, mais tout cela ne fait pas très artistique et pourtant…nous nous en sommes occupé : nos centres, très modernes, très design manquaient un peu de chaleur humaine et nous avons de grandes surfaces murales : l’idée me vint de proposer à des artistes, peintres, photographes d’exposer dans nos cabinets médicaux et l’art revient ainsi dans notre univers, à la grande satisfaction des artistes qui peuvent ainsi avoir une visibilité dans toutes les grandes villes de France en faisant tourner leurs expositions murales !

Les œuvres qui vous parlent

Trois œuvres musicales

Alors, nous y voilà, depuis toujours, j’ai eu, au grand désespoir de mes parents mélomanes, un intérêt très modéré pour les œuvres musicales. Probablement les prémices de ma carrière d’ophtalmologiste qui privilégie l’œil à l’oreille.

D’ailleurs, cela m’a poursuivi puisque j’ai été réformé du service militaire pour motif ORL.

J’ai peur de décevoir fortement mes lecteurs mais mon premier souvenir musical est pour Antoine et « les élucubrations » (LIEN) à une époque où je faisais la guerre à la maison pour avoir les cheveux longs et le deuxième va à Michel Sardou et la maladie d’amour au moment de mes 16 ans ! (LIEN)

Je finirai par une œuvre qui me bouleverse chaque fois que je l’écoute : Hallelujah de Jeff Buckley dont la mort dans le Mississippi est incroyable (LIEN).

Je ne vais pas m’étendre d’avantage et je ne pense pas révolutionner cette rubrique, juste me rendre encore moins intello que certains ont pu le croire.

Trois œuvres littéraires

Là aussi, pas de révolution à attendre de moi

En bon marqueteur (en bon français), je ne peux que citer et reciter Le Marketing stratégique de Kotler et Dubois qui fut ma bible avant que je ne me mette à avoir mes propres idées dans le domaine (LIEN)

J’adore les romans que je dévore tous les étés : mon coup de cœur va en ce moment aux différents ouvrages de Joel Dicker et surtout pour son deuxième roman, La vérité sur l’affaire Harry Quebert (LIEN)

Enfin, j’ai lu beaucoup de biographies et d’ouvrages politiques.

Certes sans rapport avec les mémoires d’espoir du grand homme politique de la Vème république (LIEN), les deux ouvrages de Nicolas Sarkozy méritent d’être lus.

Je reste désolé du peu de place qu’on laisse à Georges Pompidou pourtant le plus cultivé et le plus moderne de tous nos présidents (LIEN).

De façon plus modeste, puisque c’est encore tout frais, je me permets de citer mon ouvrage sortie 8 jours avant la fermeture de toutes les librairies de France ! (LIEN)

Autres types de créations

L’art qui me touche le plus est la peinture : toujours cette histoire d’œil et d’ophtalmologie.

Mes goûts sont très éclectiques et je ne veux pas faire le chien savant en allant de Van Gogh à Picasso en passant la Provence de Brayer ou l’art aborigène tellement mystérieux.

Si j’ai un conseil pour plus tard, quand les frontières se rouvriront, c’est de visiter mon musée préféré, le Moma de New York, dont mon employeur d’un temps, Pfizer était sponsor, ce qui me valait lors de mes fréquents déplacements dans cette ville que j’aime de pouvoir m’y rendre dans des conditions agréables. L’architecture du bâtiment, les fenêtres assurant un éclairage si particulier mettent les œuvres en valeur de façon magnifiée. A y voir absolument bien sûr Les demoiselles d’Avignon (LIEN).

En parlant d’Avignon et en sautant du coq à l’âne, cette ville est à voir et revoir, comme Villeneuve les Avignon qui lui fait face et recèle des trésors ; La montée vers le fort Saint André mériterait d’être plus connue.

D’un pays à l’autre, la ville qui réunit tous les arts de façon magique est Venise : seuls ceux qui sont obtus à tous les arts vont trouver que ses canaux sentent mauvais !

Un mot pour Notre Dame de Paris qui m’a fait pleurer : j’attends sa résurrection avec impatience. Cette cathédrale a montré qu’il nous restait quelques valeurs communes dépassant même et de beaucoup notre pays.

Je terminerai par deux artistes que j’affectionne même si leur renommée est plus confidentielle : Dominique William Leduc (peintre) et Bruno Paget (photographe) (LIEN).

Je dois parler du cinéma car ma belle-famille y a excellé dans la distribution et la production (CCFC), avec des films qui sont entrés dans la postérité : Le Père Noël est une ordure, les Bronzés, le magnifique, l’Emmerdeur, Signes extérieurs de richesse, La belle américaine, Les Misérables, Sacha Guitry, Luis Mariano, Fernandel, Gabin…

La bande dessinée est un art qui a marqué son époque à ma génération, peu avant, très peu après, avec les premiers Gaston en demi-format, Tintin, Astérix, Spirou et tellement d’autres qui ont rythmé mon enfance, ma jeunesse et restent importants pour moi aujourd’hui.  Il m’arrive encore de lire le Journal de Mickey sur ma tablette.

Une petite particularité : j’ai lu tous les numéros du journal Le Point, depuis le numéro 1 que j’ai toujours à côté de moi, avec Pompidou en Une.

Sur le plan technologique, mon admiration va à ceux qui ont inventé les vaccins à ARNm : ils auront le prix Nobel ou il faut supprimer le Prix Nobel ! Quelle tristesse de voir à quel point la France a décroché.

Ce qui me fascine le plus est la voiture sans conducteur qui est l’aboutissement du génie humain aidé de l’informatique, de l’IA et de tout ce que l’homme a su développer.

Dans le domaine de la médecine, je surveille avec beaucoup d’attention tout ce que les GAFA font pour remplacer la pharma « traditionnelle » : je suis sûr que beaucoup de l’innovation viendra de là mais ce n’est pas si simple. On le voit actuellement avec Dr Watson et Microsoft.

Une chose m’exaspère : croire ou faire croire que l’IA remplacera le médecin.

NON : l’IA permettra au médecin de travailler mieux et plus vite mais pas plus, même si cela ferait plaisir aux marchands du temple.

Trois clichés personnels

Journal Le Point numéro 1, 1972, collection personnelle. Déjà la crise : de crise en crise…

Biennale de Venise 2015, Pavillon Japon, La pêche, reconnaissance de la souffrance animale

Formentera, Schoppi, artiste allemand. Y a-t-il un paradis pour les hippies ?

Grands défis et propositions

Je prendrai la parole dans deux domaines que je connais : la Santé et l’entreprenariat.

Trop de gens parlent de ce qu’ils ne connaissent pas.

10 choses à faire après la crise pour redonner sa place à la santé dans notre pays.

Un constat : « la meilleure médecine du monde », quelle prétention. La crise sanitaire nous a montré que, bien que nos dépenses soient énormes dans ce domaine, nous étions à peine dans la moyenne. Quelle déconvenue ! Quel atterrissage ! Quelle tristesse !

Oui, ce fut le cas, ce ne l’est plus et on l’a compris à nos dépends.

Que faire pour retrouver au moins une place dans le peloton de tête :

1/ Augmenter le nombre de lits de réanimation : c’est une évidence, avant toute analyse.

2/ Produire en France les médicaments, dispositifs médicaux et vaccins stratégiques : pas de production, pas de produits de nécessité en cas de crise.

3/ Réformer la recherche de fond en comble : seul grand pays à ne pas avoir trouvé un vaccin à temps. La honte absolue, mais tellement prévisible.

4/ Repenser la gouvernance hospitalière : après trop de pouvoir aux médecins, on a donné trop de pouvoir aux administratifs. Il faut un équilibre !

5/ Réformer la médecine de ville : il faut regrouper les professions de santé au lieu d’accentuer l’éparpillement ! Voir mon livre sur l’entreprise médicale.

6/ Investir massivement dans les nouvelles technologies, l’IA : ne pas laisser passer le train une fois de plus

7/ Développer une télémédecine responsable débarrassée des contraintes administratives : c’est la solution aux déserts médicaux

8/ Revoir, profession par profession, les effectifs des professions de santé et leur formation au lieu de bricoler. Une décision produit ses effet, positifs ou négatifs, 10 à 20 ans après.

9/ Revoir l’intégralité du millefeuille administratif et évoluer vers des structures adaptées aux besoins de la population et des professions de santé.

10/ Repenser la couverture sociale : comment faire évoluer Sécurité Sociale, mutuelles et assurances pour répondre aux besoins des Français ?

Entreprenariat :

Les vrais entrepreneurs doivent prendre la situation actuelle comme une opportunité :

  • Nous n’avons jamais vu depuis l’arrivée de l’informatique et d’internet, une telle évolution de l’ensemble des produits et services.
  • Des secteurs entiers, connus comme porteurs s’écroulent : transport, tourisme, restauration, hôtellerie, commerce…
  • D’autres montent en flèche : santé, distribution, informatique de bureau…
  • Ceux qui percevrons les premier les insights, l’évolution des habitudes de consommation pourront être les premiers à penser le monde d’après, celui qui suivra la fin de la pandémie
  • Ceux qui attendent que ça s’arrange arriveront trop tard.
  • Pendant la crise, les affaires continuent : il y a des deals tous les jours.
  • Il faut donc, dès à présent, penser ce monde d’après, préparer des projets, tester des business plans, des USP novatrices (Unique Selling Propositions), des elevator pitchs et tout le bazar de ce qu’il faut pour convaincre des investisseurs.
  • Les investisseurs sont bien là, à l’affut des bons projets, avec des moyens financiers pour y aller.

Donc, ceux qui feront le monde d’après la crise sanitaire sont ceux qui travaillent en ce moment au lieu de céder au découragement ambiant : allez-y, il y a urgence !