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L’entrepreneuriat est une passion pour beaucoup, l’argent n’étant pas le principal moteur. Après le succès financier, l’ennui devient un défi majeur pour les entrepreneurs, incitant certains à lancer de nouvelles initiatives à impact ou à devenir investisseurs. Le concept d’ikigai, où l’activité est la synthèse d’une vocation, d’une profession, d’une passion et d’une mission s’applique bien à l’entrepreneuriat, ce qui explique pourquoi de nombreux entrepreneurs continuent malgré le succès financier.

E. Krieger

Adapté de Krieger E. (2023) « Que font les entrepreneurs une fois qu’ils ont fait fortune ? », Les Echos Start, 23/10/2023 : https://start.lesechos.fr/innovations-startups/entreprendre/que-font-les-entrepreneurs-une-fois-quils-ont-fait-fortune-1988824

L’âge moyen des créateurs d’entreprises innovantes est de 38 ans et le délai médian requis pour céder une entreprise financée par des fonds de capital-risque est de 9 ans pour un montant médian proche de 30 M€, à partager entre les fondateurs, les investisseurs et les salariés détenteurs de stock-options. Les cofondateurs qui touchent un petit pactole ont donc autour de 47 ans.

Certains entrepreneurs se lancent certes plus tôt et réalisent des gains considérables plus rapidement que ces délais médians mais ce sont des exceptions qui confirment la règle.

Ce cas de figure, très orienté startup, ne concerne qu’une minorité d’entités, à savoir des entreprises innovantes vouées à l’hypercroissance et aux valorisations stratosphériques lorsque tout se passe bien. Mais notre analyse s’applique tout autant à des entreprises traditionnelles, qui se développent moins rapidement mais, souvent aussi, plus sûrement que ces fameuses startups hautement risquées pour lesquelles la logique darwinienne joue à fond.

Que faire lorsqu’on peut en théorie s’arrêter de travailler ?

Ayant accompagné un bon millier d’entrepreneurs depuis plus de 30 ans, nous avons côtoyé maints succès financiers. Sans vouloir généraliser des situations toujours très spécifiques, cela nous permet de faire plusieurs constats.

Tout d’abord, l’innovation et l’entrepreneuriat sont des drogues à accoutumance et celles et ceux qui s’arrêtent de travailler fortune faite sont une minorité surtout lorsque l’âge théorique de la retraite est encore loin.

Ce constat corrobore les nombreuses enquêtes menées auprès des créateurs d’entreprises, qui indiquent à une écrasante majorité que l’argent n’est pas leur moteur principal et que le désir de liberté et d’épanouissement personnel prime.

La peur de l’ennui, ce moteur paradoxal

Les entrepreneurs ayant réalisé des gains suffisamment importants pour arrêter de travailler se retrouvent ainsi rapidement face à leur pire ennemi : l’ennui. Après quelques mois de repos, parfois ponctués par un périple autour du monde, l’appel des sirènes entrepreneuriales redevient plus audible pour nos Ulysse des temps modernes.

D’où la tentation de lancer de nouvelles initiatives, car la panoplie d’activités offertes aux rentiers ne convient pas toujours à celles et ceux qui s’épanouissent avant tout grâce à des défis entrepreneuriaux.

Rentier, Business Angel ou Serial Entrepreneur ?

La tentation de revenir au front se matérialise généralement par deux types d’activités : création d’une nouvelle entreprise ou investissement sans rôle opérationnel dans une ou plusieurs entreprises, afin d’aider d’autres entrepreneurs à se développer. Dans le second cas, la frustration de ne pas « être aux manettes » amène souvent à opter à nouveau pour l’entrepreneuriat. Retour par conséquent à la case départ… avec quelques années en plus mais toujours avec la même énergie et le souhait d’avoir un impact sur le monde.

Nous avons si souvent vu un tel schéma à l’œuvre que, lorsqu’une entreprise est sur une trajectoire qui va permettre à ses fondateurs d’être à l’abri du besoin pour une ou deux générations, nous posons invariablement la question suivante à ces heureux élus : « Que vas-tu faire après ? ». Très souvent, la réponse est évasive tant par difficulté à se projeter dans cette nouvelle vie que par souci de ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir occis, coté en Bourse ou cédé à une grande entreprise.

Ikigai et entrepreneuriat

Le concept d’ikigai s’applique à merveille à l’entrepreneuriat, lorsque l’activité « coche toutes les cases » et permet d’allier ce que l’on aime faire, ce que l’on sait faire, ce dont le monde a besoin et ce pourquoi on peut être payé. Cet « ikigai » correspond alors à votre raison d’être, synthèse parfaite d’une vocation, d’une profession, d’une passion et d’une mission singulière.

Ikigai_FR

Le quotidien des entrepreneurs passe souvent par des hauts et des bas plusieurs fois par jour. Pour autant, une personne qui s’épanouit dans la création et le développement d’activités innovantes sans sacrifier ses amis et sa vie de famille rêve rarement « d’autre chose ». Son activité, qui n’est nullement vécue comme un pensum, lui permet en effet d’avoir un impact, d’être maître de son destin, de rencontrer des personnalités inspirantes et, conformément au paradigme schumpétérien, d’exécuter de nouvelles combinaisons.

Il n’est donc pas étonnant que beaucoup d’entrepreneurs qui ont fait fortune persistent dans leur vocation entrepreneuriale, où le chemin est manifestement plus important que le but.

Entrepreneur un jour, entrepreneur toujours.